La Liberté

Dérives d’une guerre éclair mythique

La glorieuse guerre des Six-Jours a aussi connu son lot de massacres, de bavures meurtrières et de ratés

Grosse bavure: l’attaque israélienne du bâtiment américain USS Liberty a fait 34 morts et 171 blessés. © DR
Grosse bavure: l’attaque israélienne du bâtiment américain USS Liberty a fait 34 morts et 171 blessés. © DR
Prisonniers de guerre égyptiens en sous-vêtements à El Arish, dans le nord du Sinaï. © Revue mondiale 1967/DR
Prisonniers de guerre égyptiens en sous-vêtements à El Arish, dans le nord du Sinaï. © Revue mondiale 1967/DR

Pascal Fleury

Publié le 05.05.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Israël » L’Etat d’Israël célèbre cette année le cinquantenaire de la guerre des Six-Jours. Une guerre éclair, menée victorieusement contre l’Egypte, la Syrie et la Jordanie du 5 au 10 juin 1967, qui deviendra un modèle du genre pour les écoles militaires. Une guerre dite «préventive» face à l’encerclement et au blocus arabe, mais aussi à la crainte d’une attaque contre le site nucléaire de Dimona, dans le désert du Néguev. Une guerre d’occupation enfin, qui influence aujourd’hui encore toute la géopolitique de la région.

Les commémorations auront lieu lors du «Yom Yeroushalayim», la «Journée de Jérusalem» qui marque la réunification de la ville et la reprise par Israël du Mur des lamentations, le 7 juin 1967. Selon le calendrier hébraïque, les festivités sont prévues le 23 mai. Les médias israéliens annoncent déjà la participation «probable» du président Donald Trump, qui a promis de délocaliser l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.

Face sombre du conflit

La guerre des Six-Jours, qui débute par l’anéantissement de l’aviation égyptienne, a permis à Israël de tripler pour un temps son emprise territoriale, avec la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la Vieille-Ville de Jérusalem. Les territoires occupés encore aujourd’hui sont au cœur du conflit israélo-palestinien.

La guerre éclair de 1967 ne peut cependant se résumer à une série de batailles héroïques à la gloire d’Israël. Elle a aussi été entachée par des exécutions sommaires de prisonniers et de civils arabes (lire ci-contre). Elle a été meurtrière, faisant plus de 20'000 morts du côté arabe, dont une moitié d’Egyptiens. Elle a été accompagnée de nombreux déplacements forcés de populations. Entre 280'000 et 325'000 Palestiniens ont été chassés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, principalement vers la Jordanie. Plusieurs villages ont été rasés après les opérations militaires.

Mais les ennemis arabes n’ont pas été les seuls touchés, comme l’ont témoigné récemment des vétérans de l’unité des opérations spéciales de la Marine israélienne, lors d’une rencontre au Musée naval d’Haïfa. Alors qu’ils tentaient d’attaquer le port d’Alexandrie, leurs commandos se sont fait prendre par les Egyptiens, les opérations ayant été «très mal préparées».

«Nous n’avions pas la moindre chance de revenir. C’était une mission suicide», raconte le capitaine Eitan Lipschitz, qui a été détenu durant sept mois et a subi des actes de torture. «J’ai traversé l’enfer au cours de ma captivité, mais je ne leur ai rien dit. Pas un traître mot», a-t-il confié au quotidien online Ynetnews.com.

«Ces commandos menaient des missions effectivement très dangereuses», nous précise Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, à Paris, et auteur d’un ouvrage de référence sur la guerre des Six-Jours*. «Mais je ne les qualifierais pas de missions suicides. Le risque est la norme pour les nageurs de combat.»

Navire américain attaqué

Pour ces anciens combattants, l’épisode le plus affligeant de la guerre des Six-Jours reste toutefois l’attaque par l’armée israélienne du navire espion américain USS Liberty, le 8 juin, au large de la péninsule du Sinaï. Pendant deux heures, Tsahal va s’acharner, envoyant d’abord des avions de combat Mirage III et Mystère IV puis des vedettes-torpilleurs. Bilan: 34 morts, 171 blessés et de gros dégâts au bâtiment, qui finira à la casse.

Cette bavure, alors que les Etats-Unis avaient opté pour le statut de pays neutre dans le conflit, a été attribuée de part et d’autre à une «erreur d’identification» du navire. Israël a versé d’importantes indemnisations aux victimes. L’attaque n’en restait pas moins étonnante, si l’on sait que le bâtiment arborait le pavillon étoilé. Diverses théories ont été émises. L’agression a pu, par exemple, être commise pour empêcher la collecte d’informations sur les plans d’action israéliens contre le Golan.

L’attaque a aussi pu être préméditée par les autorités israéliennes et américaines. Elle devait alors être attribuée à l’Egypte pour permettre aux Etats-Unis d’entrer dans le conflit et de chasser le président Gamal Abdel Nasser, jugé dangereusement prosoviétique. Le navire n’ayant pas coulé, le projet aurait avorté. Si cette théorie se révèle exacte, le monde serait passé «bien près ce jour-là du déclenchement d’une 3e guerre mondiale», note Pierre Razoux. Une hypothèse soutenue par le secrétaire à la Défense américain Robert McNamara: «En juin 1967, une 3e guerre mondiale fut évitée de justesse.»

Pour l’expert français, toutefois, le motif le plus réaliste de l’attaque sur le Liberty était d’envoyer un avertissement aux Américains: «Il devait être bien clair qu’Israël conserverait toujours la totale maîtrise de sa souveraineté et que l’Etat hébreu ne saurait en aucun cas être traité comme un simple allié supplétif», explique-t-il. Donald Trump, qui veut mettre fin au conflit israélo-palestinien, devra s’en souvenir…

Pierre Razoux, La guerre des Six-Jours – Du mythe à la réalité, Economica, 2006.


 

«Nous les mettions en rang pour les abattre, tout simplement»

«A plusieurs reprises, nous avons fait des prisonniers, raconte un jeune soldat de Tsahal. Nous les mettions en rang pour les abattre, tout simplement. (…) Avec le recul, cela laisse l’impression qu’on les a assassinés. En réalité, en temps de guerre, tous les civils, tout le monde est notre ennemi.» Ce témoignage a été enregistré deux semaines après la fin de la guerre des Six-Jours, dans le cadre d’une enquête journalistique, menée entre autres par l’écrivain israélien Amos Oz. S’intéressant à l’état d’esprit des soldats de retour du front, les reporters ont entendu une vingtaine de jeunes soldats. Un demi-siècle après, leurs récits sont rendus publics pour la première fois dans le film Des voix censurées, à voir sur RTS 2.

Révélant un malaise général, loin du triomphalisme rapporté par les médias au lendemain de la victoire israélienne, ces témoignages confirment l’existence d’exécutions sommaires contre des prisonniers de guerre égyptiens dans le Sinaï et contre des civils palestiniens. «Soyez sans pitié! Tuez-en le plus possible, c’était ça les ordres», confie un soldat. D’autres militaires évoquent les expulsions forcées de civils arabes. «Quand tu vois les habitants de tout un village qui avancent comme un troupeau de moutons, sans savoir où ils vont ni opposer de résistance, c’est là que tu comprends le sens du mot Holocauste.» Cinquante ans après, les anciens combattants confirment leurs propos. «C’est une vérité que je défends encore aujourd’hui», assure Amos Oz. PFY

 

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