La Liberté

«Ici la Suisse, Switzerland calling!»

Dès 1939, le Service suisse d’ondes courtes devient le fer de lance de la contre-propagande nationale

Les émissions du Service suisse d’ondes courtes (ici en 1945) étaient écoutées attentivement aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. © Swissinfo/DR
Les émissions du Service suisse d’ondes courtes (ici en 1945) étaient écoutées attentivement aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. © Swissinfo/DR
Le 6 juillet 1939, un mois après son entrée en fonction, l’émetteur de Schwarzenburg brûle. Prangins prend le relais. © Swissinfo/DR
Le 6 juillet 1939, un mois après son entrée en fonction, l’émetteur de Schwarzenburg brûle. Prangins prend le relais. © Swissinfo/DR
Paul Borsinger, directeur du Service suisse d’ondes courtes. © Swissinfo/DR
Paul Borsinger, directeur du Service suisse d’ondes courtes. © Swissinfo/DR
Le chroniqueur Pierre Béguin était aussi correspondant de La Liberté. © DR
Le chroniqueur Pierre Béguin était aussi correspondant de La Liberté. © DR

Propos recueillis par
 Pascal Fleury

Publié le 07.04.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Radio »   A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Suisse est confrontée à une propagande étrangère très incisive. Elle se lance alors dans la guerre des ondes. Pour resserrer ses liens avec les expatriés, défendre les valeurs suisses à l’étranger et contribuer au rayonnement du pays, elle peut compter sur son nouveau Service suisse d’ondes courtes, qui deviendra plus tard Radio suisse internationale (aujourd’hui Swissinfo). Les explications de l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz, qui publie une thèse de doctorat sur le sujet(1).

Comment est né le Service suisse d’ondes courtes (SOC)?

Raphaëlle Ruppen Coutaz: Dès le début de la radio en Suisse, dans les années 1920, des émissions – appelées «soirées» – sont proposées sur ondes moyennes pour les Suisses de l’étranger. Cette offre se renforce dans la décennie suivante avec le développement des ondes courtes qui permettent d’atteindre des régions beaucoup plus lointaines. Au départ, la SSR utilise l’émetteur de la Société des Nations à Prangins et un émetteur amateur bâlois.

Deux personnalités très ouvertes sur l’étranger, qui voient la radio comme un outil de progrès et de paix, vont militer dès 1936 pour que la SSR puisse jouir de son propre émetteur national à ondes courtes. Il s’agit de Rudolf von Reding, secrétaire général de la SSR, qui avait été délégué du CICR, et de son ami Paul Borsinger, un bourlingueur polyglotte engagé pour assurer le contrôle des programmes. Ce dernier deviendra le premier directeur de la station.

Dans quel contexte politique est lancée cette radio?

Sa création fait suite au fameux message du Conseil fédéral, le 9 décembre 1938, concernant la nécessité de mettre en place une «défense nationale spirituelle» pour répondre aux propagandes étrangères. On a souvent analysé cette politique comme une forme de repli culturel de la Suisse, mais le message contient aussi un volet offensif clair: promouvoir les valeurs constituant l’identité suisse à l’étranger.

Le projet reçoit le soutien de la Nouvelle Société helvétique, une société patriotique très influente, et de son Secrétariat des Suisses à l’étranger, qui craignent que les colonies de la «5e Suisse» ne soient envahies par les idées nazies et fascistes. Le parlement vote un budget permettant la construction d’un émetteur national à ondes courtes à Schwarzenburg (BE).

Mais à peine inauguré,
l’émetteur national brûle!

Oui, un mois après sa mise en fonction au printemps 1939. Les PTT, en charge des infrastructures, avaient cru bien faire en construisant l’édifice en bois. Tout a flambé. Le temps de sa reconstruction, les émissions sont à nouveau diffusées depuis l’émetteur de Prangins. Elles sont reçues dans les pays limitrophes, où vivent la grande majorité des 400 000 expatriés. En 1941, si l’on en croit les lettres d’auditeurs, la réception est possible sur tous les continents, sauf en Afrique australe et au Japon. En 1949, le monde entier est couvert, même si les ondes courtes restent capricieuses.

Quelles émissions sont diffusées?

Au départ, la radio, qui n’a pas beaucoup de moyens, reprend surtout les programmes diffusés par les studios régionaux, en particulier les émissions musicales, intelligibles par tous. Petit à petit, le service met en place ses propres émissions, en commençant par les «chroniques», dans les domaines politique, économique ou culturel. Dès 1939, elles sont diffusées dans les trois langues nationales, puis en anglais et en espagnol. Et dès 1941 aussi en portugais. Les chroniqueurs engagés sont souvent proches des autorités. Certains sont même recommandés par le Conseil fédéral.

De quoi parlent ces chroniques?

Les «chroniques du jour» visent clairement les Suisses expatriés. Après l’exposé factuel des nouvelles de l’étranger, elles parlent de l’état des vignes, du décès d’une personnalité, d’une élection cantonale. Les chroniques politiques, quant à elles, s’adressent à un public plus large, comme contre-propagande pour justifier la politique étrangère suisse.

Dans un contexte de guerre où les infos peinent à circuler, les bulletins retravaillés à partir de l’Agence télégraphique suisse sont attentivement écoutés par la diaspora helvétique et les ministres et consuls suisses, mais aussi par l’Office of War Information (office de propagande) des Etats-Unis et par plusieurs radios américaines, dont CBS. La radio suisse ne diffusait pas de messages codés, contrairement à la BBC.

C’était de la «public diplomacy»?

Oui, le Service suisse d’ondes courtes cherche avant tout à améliorer la réputation du pays à l’étranger, par exemple lorsqu’il légitime le maintien des relations économiques avec l’Axe au tournant de la guerre, quand la Suisse devient la cible de critiques virulentes de la part des Alliés. Plusieurs chroniques défendent les entreprises suisses accusées de participer à l’effort de guerre allemand et de prolonger ainsi le conflit.

La radio permet-elle alors de redorer l’image de la Suisse?

En tout cas, elle s’y emploie activement aux côtés d’autres organisations comme l’Office suisse d’expansion commerciale et l’Office national suisse du tourisme. Des émissions sont mises en place spécialement pour les milliers de GI américains en permission en Suisse. Des soldats passent à l’antenne pour saluer leur famille. L’aspect émotionnel est fort et contribue à véhiculer le message d’une Suisse accueillante, solidaire et moderne. La radio internationale va poursuivre ses efforts «au service de la raison d’Etat» bien après la guerre.

1) Raphaëlle Ruppen Coutaz, La voix de 
la Suisse à l’étranger – Radio et relations culturelles internationales (1932-1949), Editions Alphil, 2016.

* * *

En dates

1931

Fondation de la Société suisse de radiodiffusion.

1935

Emissions sur ondes courtes depuis Prangins.

1939

Mise en fonction de l’émetteur de Schwarzenburg (jusqu’en 1998).

1972

L’émetteur de Sottens (VD) est équipé pour les ondes courtes.

1978

Le Service des ondes courtes est rebaptisé Radio suisse internationale.

1999

Lancement de swissinfo.org

2004

Fermeture de Sottens et fin de l’ère des ondes courtes en Suisse.

* * *

Des milliers de chroniques accessibles sur internet

Il ne reste que très peu d’archives sonores du Service suisse d’ondes courtes antérieures à 1950. On préférait souvent réutiliser les bandes après diffusion pour des raisons de coûts. Heureusement, comme les journalistes écrivaient leurs chroniques avant de les lire, plusieurs milliers de tapuscrits, souvent annotés, ont pu être retrouvés. Ces textes sont aujourd’hui disponibles sur internet, grâce à un travail d’archivage et de mise en valeur mené par Swiss­info en collaboration avec la section d’histoire de l’Université de Lausanne. «Ces chroniques permettent de prendre la mesure des messages que la radio et indirectement les autorités fédérales souhaitaient transmettre à l’étranger», explique la docteure en histoire Raphaëlle Ruppen Coutaz, cheville ouvrière du projet. «On trouve par exemple une chronique défendant les mesures restrictives prises à l’encontre des réfugiés pendant la guerre. Il est intéressant d’observer que la mention «juifs» a été tracée par l’auteur ou par la censure, une précision que l’on préférait alors manifestement passer sous silence.» La base de données est accessible aux chercheurs et au grand public. PFY

http://wp.unil.ch/ondescourtes

Radio: ve: 13 h 30

TV: Les films interdits du 3e Reich
Di: 22 h 05
Lu: minuit


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