La Liberté

La vache miracle du Lider maximo

A peine arrivé au pouvoir en 1959, Castro décrète une ambitieuse réforme agraire. Il parie sur le lait et le sucre

Fidel Castro en compagnie d’Ubre blanca (Mamelle blanche), une «supervache» record du monde qui a fait le beurre de la propagande cubaine.  © AFP
Fidel Castro en compagnie d’Ubre blanca (Mamelle blanche), une «supervache» record du monde qui a fait le beurre de la propagande cubaine. © AFP


Pascal Fleury

Publié le 24.03.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Cuba »   «Nous sommes le seul pays au monde où chaque enfant sans exception est sûr de recevoir, jusqu’à un âge donné, un litre de lait par jour. Et c’est pour ça que vous voyez que notre jeunesse est saine», martelait le président Fidel Castro dans l’un de ses discours-fleuves, prononcé en 1999. Le lait a toujours été la référence du révolutionnaire cubain en matière d’alimentation et de santé. Une véritable obsession même, pour cet amateur de fromage et de cornets glacés, qui l’a poursuivi toute sa vie.

Dès son entrée en fonction comme premier ministre, le 16 février 1959 – après le renversement du régime dictatorial du général Batista – Fidel Castro place l’approvisionnement de son peuple en tête de ses priorités. Le 1er mars déjà, il lance une ambitieuse réforme agraire, limitant la propriété foncière à 30 caballeras (400 hectares) et nationalisant les terres des grandes sociétés, comme la Cuban Land Tobacco Company.

«Frapper un grand coup»

«J’estimais qu’il fallait frapper un grand coup avec cette loi», se souvient le Comandante, dans un entretien avec le journaliste Ignacio Ramonet1. Certaines sociétés américaines possédaient 200 000 hectares des «meilleures terres» de l’île. «Pas surprenant que la loi sur la réforme agraire ait reçu un accueil délirant de la part de la population», analyse le journaliste et biographe Tad Szulc2.

Castro sollicite les conseils d’agronomes, dont le Normand André Voisin, spécialiste de la rotation des pâturages et de l’utilisation raisonnée des engrais, qui vient d’écrire alors un livre sur la Productivité de l’herbe.

Autre Français invité sur place, René Dumont produit des rapports critiques sur le désordre régnant dans les fermes d’Etat. «On voulait diversifier la production, sortir de la monoculture du sucre. Mais personne ne connaissait les cultures de coton et d’arachide que l’on proposait; on leur envoyait des graines sans documentation sur les cultures», raconte-t-il, se souvenant qu’en 1963, certains champs ont été labourés «à quatre reprises», chaque fois pour semer autre chose!3

Croisements de vaches

Pariant en particulier sur le lait, Castro acquiert des holstein du Canada. Mais ces bonnes laitières s’acclimatent mal. Il tente la production de roquefort local et de camembert, qu’il fait goûter à André Voisin, peu enthousiaste mais poli: «Mon fromage et vos cigares ont des siècles d’existence derrière eux…»4

Le Lider maximo pratique aussi des croisements entre le zébu local et la brown swiss, une race américaine issue de la braunvieh de Suisse. C’est finalement un croisement entre un zébu et une holstein qui va dépasser toutes ses attentes.

Sa «supervache», nommée Ubre blanca (Mamelle blanche), naît en 1972. Inscrite au Guinness Book pour son record de 109,5 litres de lait fournis en un seul jour, soit quatre fois la ­production d’une vache cubaine, elle va devenir une mascotte de la Révolution. A sa mort en 1985, on va d’ailleurs l’empailler et lui ériger une statue de marbre. Le journal du Parti communiste, Granma, lui consacrera même un éloge funèbre.

Objectifs irréalistes

Ce succès, largement exploité par la propagande, reste cependant anecdotique, au regard des objectifs que vise Fidel Castro. En 1968, il assure ainsi pouvoir multiplier la production de lait par quatre en deux ans! Elle se révélera inférieure de 25%.

L’échec sera encore plus patent dans le secteur de la canne à sucre, une culture que les Soviétiques encouragent en achetant un million de tonnes de sucre par an dès 1960, et en fournissant 100 millions de dollars pour les équipements.

Castro, qui se sent des ailes, rêve d’obtenir une récolte de dix millions de tonnes de sucre en 1970. Il envoie aux champs des milliers de «volontaires» – employés, étudiants, enfants et personnes âgées – pour seconder les 250 000 macheteros professionnels. La récolte se prolonge durant 334 jours. Défiant les risques de sécheresse, le Comandante rassure: «Nous avons passé un accord avec la pluie!»

Finalement, la récolte sera de 8,5 millions de tonnes. Mais Castro doit reconnaître que l’effort héroïque tenté pour augmenter la production de sucre a provoqué «des déséquilibres économiques, diminué la production dans d’autres secteurs et accru les difficultés».

Crise profonde

Heureusement, le «grand frère» soviétique assure les arrières. Dans les années 1980, son aide est évaluée à 4 milliards de dollars par an. Autant dire que la chute de l’URSS, dès 1990, va avoir des conséquences catastrophiques pour Cuba.

Aujourd’hui, de nouvelles réformes et l’ouverture du pays permettent aux Cubains de remonter lentement la pente. Mais les enfants, qui recevaient leur dose de lait jusqu’à 13 ans, sont désormais sevrés à 7 ans. Et Fidel Castro, décédé le 25 novembre dernier, n’est plus là pour les biberonner…

1 Ignacio Ramonet, Fidel Castro – Biographie à deux voix, Ed. Fayard, 2007.
2 Tad Szulc, Fidel Castro – Trente ans 
de pouvoir absolu, Ed. Payot, 1987.
3 René Dumont, De la critique à la rupture, in Cuba – Trente ans de révolution, Autrement, No 35, 1989.
4 Libération, 29 novembre 2016.


 

Fidel Castro comptait sur le savoir-faire des fromagers suisses

Durant les premières années de sa réforme agraire, Fidel Castro a sollicité la Suisse pour la formation de ses fromagers.

En 1964, le Gouvernement cubain, par l’entremise de l’ambassade de Suisse à La Havane, a exprimé le souhait d’accueillir un fromager suisse pour qu’il transmette son savoir-faire aux populations locales. Dans une missive datée du 5 mars, publiée par les Documents diplomatiques suisses, l’ambassadeur Emil Stadelhofer souligne les grandes attentes des autorités cubaines pour pareille coopération.

La requête diplomatique dresse aussi le portrait du volontaire idéal. Il doit maîtriser l’espagnol ou l’anglais, rester imperturbable face au «chaos administratif et organisationnel» ambiant, faire au mieux avec les moyens du bord, être en bonne santé, savoir s’adapter aux changements alimentaires et «rester de marbre devant le charme des femmes cubaines»! Le fromager doit aussi demeurer «imperméable» face aux vives critiques proférées à l’égard des Etats-Unis et s’abstenir de commenter la politique intérieure de l’île. Un salaire mensuel de 800 à 1000 dollars lui est promis.

La réponse ne s’est pas fait attendre. Selon le délégué à la Coopération technique, les fromagers contactés ont tous décliné l’offre, soit en raison de leurs engagements professionnels, soit pour ne pas nuire à leur situation et «tenir compte des convictions politiques» des paysans avec lesquels ils travaillent en Suisse.

Un document de 1972 de la même Coopération technique nous apprend toutefois que des Cubains au bénéfice d’une bourse ont finalement pu suivre un stage à l’Ecole cantonale de fromagerie de Moudon.

Mais pour le passionné de laitages qu’était Fidel Castro, il en fallait plus! Le 17 mai 1998, profitant d’un séjour en Suisse à l’occasion des 50 ans de l’Organisation mondiale de la santé, il débarque en personne à la fromagerie d’alpage de Moléson-Village pour se faire expliquer la fabrication du gruyère. On n’est jamais mieux servi que par soi-même… PFY

 

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