La Liberté

«Sahel, une bombe à retardement»

Comment sortir des multiples menaces qui frappent les pays africains situés aux portes du désert?

«Sahel, une bombe à retardement» © Valérie Regidor
«Sahel, une bombe à retardement» © Valérie Regidor


Maria Malagardis

Publié le 21.04.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Sécurité internationale » A la frontière du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, une guerre asymétrique se perpétue depuis quatre ans dans laquelle les troupes françaises sont elles aussi engagées. Sans pour l’instant réussir à pacifier une zone, vaste comme six fois la France, que se partagent cinq pays africains: la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.

Dès lors, comment sauver le Sahel? Comment enrayer le cercle vicieux de la misère et de l’insécurité qui fait de cette vaste région l’un des points chauds du globe? Selon le chercheur Christophe Angely, de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Clermont-Ferrand), il faut entièrement repenser nos relations avec ces pays. Entretien.

Pourquoi le Sahel cristallise-t-il aujourd’hui les enjeux à la fois sécuritaires, écologiques et démographiques internationaux?

Christophe Angely: La région du Sahel est aujourd’hui l’une des plus vulnérables au monde. Avec des pays pauvres, enclavés. C’est aussi une région qui n’a pas encore enclenché sa transition démographique. Si l’on regarde ces cinq pays (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad), on prévoit 400 millions d’habitants en 2100. Contre 125 à 130 millions aujourd’hui. D’où l’accent mis sur l’éducation: la jeunesse de cette population sera un atout, si on lui donne une perspective. Ou un danger, si elle n’en a aucune. La qualité des enseignants dans les écoles publiques est un vrai enjeu. Parce que, sinon, soit ces jeunes sont déscolarisés, soit ils vont dans des écoles coraniques ou privées, sur lesquelles l’Etat n’a aucun contrôle.

La communauté internationale peut-elle sauver ces pays presque «malgré eux»?

Il faut avoir à l’esprit la bombe à retardement que représente cette zone: dans quinze ans, la population y aura augmenté de 60%. La notion de corruption, la faiblesse des institutions doivent s’effacer derrière la nécessité d’agir face à cet enjeu.

Avez-vous l’impression qu’un consensus se dégage sur une nouvelle approche dans le soutien à ces pays?

Le dernier rapport de la Banque mondiale encourage la bonne gouvernance des Etats. Mais aussi les pratiques démocratiques: ne plus se contenter de dire «il y a eu une élection c’est bon». Mais considérer qu’après le vote, il faut encore plus soutenir les parlements nationaux, les sociétés civiles.

Que faut-il donc changer dans l’approche des problèmes?

Il faudrait que les populations considèrent que leur appareil d’Etat les protège. Mais ce ne sera jamais possible si, à chaque fois qu’on est dans une configuration de crise, on voit arriver une armée extérieure ou des experts extérieurs, qui ne font finalement que constater et illustrer les limites de l’administration locale. Les vraies réformes ne sont pas des réformes qu’on imposera, ce sont des réformes qui se diffuseront. Il faut permettre aux administrations locales de s’approprier les choix.

Mais comment faire autrement quand les dangers imposent une réponse dans l’urgence?

Même chez nous, chaque attentat incite à surenchérir dans le court terme. Parce que notre monde moderne est celui de l’urgence et de l’immédiateté, on a oublié qu’il faut une dizaine d’années pour porter des projets. L’armée française fait du bon boulot depuis 2013. Mais on n’a toujours pas inventé la ­deuxième phase: comment pérenniser cette action avec un développement qui offre aux gens une vie digne?

Les élections aux Etats-Unis et en France peuvent-elles changer la donne?

Depuis 2009, les Etats-Unis sont devenus le premier bailleur d’aide bilatérale au Sahel, devant la France. Dans l’immédiat en Afrique, l’aide américaine correspond encore à la théorie d’Obama de la «light footprint»: on intervient discrètement, en limitant autant que possible le coût de l’engagement. En France, personne ne remet pour l’instant en cause le dispositif militaire dans une région qui a aussi des atouts, d’importantes ressources naturelles. En résumé, il faut sortir d’un discours exclusivement pessimiste sur le Sahel.

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Au moins neuf otages occidentaux ont disparu dans le silence du désert

Neuf Occidentaux, dont deux Français, sont actuellement otages dans différentes zones du Sahel où sévissent des groupes djihadistes. Pourtant, ni l’opinion publique, ni la diplomatie ne semblent vraiment se préoccuper de leur sort.

Qui connaît Sophie Pétronin? Son nom, ou encore son visage? Pourtant, outre Mme Pétronin, un autre Français est otage au Sahel – il a été enlevé fin mars au Tchad. Un Français a par ailleurs été enlevé début mars en république démocratique du Congo (RDC).

«Il n’y a plus d’otage français à l’étranger», avait déclaré François Hollande en décembre 2014, au lendemain de la libération de Serge Lazarevic, détenu pendant trois ans au Mali. Mais en janvier de cette année, lors du sommet Afrique-France dans la capitale malienne, Bamako, le président n’aura pas un mot pour la Française Sophie Pétronin, enlevée à peine quinze jours plus tôt.

Agée de 72 ans, Sophie Pétronin gérait depuis seize ans une ONG d’aide à l’enfance, très active à Gao au Nord-Mali, lorsqu’elle a été enlevée devant les locaux de son association, le 24 décembre 2016 par trois hommes masqués et armés, à bord d’un pick-up. «Et depuis plus rien. Ni revendication, ni preuve de vie», soupire son fils Sébastien.

Au Sahel, vaste zone désertique où la France est en guerre contre les forces djihadistes, ce cercle des otages disparus concerne aujourd’hui neuf Occidentaux, dont personne ne parle, ou si peu. Certains n’ont jamais donné signe de vie après leur enlèvement. Comme Sophie Pétronin ou l’Américain Jeffery Woodke, un humanitaire de 56 ans installé au Niger depuis plus de vingt ans, qui a été enlevé dans la petite ville d’Abalak le 14 octobre 2016, et dont on reste depuis sans nouvelles.

D’autres se sont exprimés, dans des vidéos distillées en fonction des stratégies opaques de leurs ravisseurs. Béatrice Stockly, une Suissesse, protestante militante, était revenue à Tombouctou après y avoir déjà été enlevée une première fois pendant neuf jours en avril 2012, peu après la prise de la ville par les djihadistes. Elle sera à nouveau enlevée dans cette ville du Nord-Mali, en janvier 2016. Dans une première vidéo, envoyée peu après, le porte-parole de ses ravisseurs l’accusait d’être «une religieuse en guerre contre l’islam». Mais aucune revendication n’accompagne la vidéo la plus récente, diffusée en janvier, qui la montre épuisée, la tête recouverte d’un voile noir. MMA


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