La Liberté

Francomanias: mains froides, cœur chaud

L'été a fait faux bond, parti avant le début des Francos. Mais la froide soirée de samedi a été réchauffée par une belle programmation. A l'Hôtel de Ville, Plaza Francia et l'Orchestre des accordéonistes de Bulle ont réinventé le tango.

Plaza Francia était accompagné par l’Orchestre des accordéonistes de la ville de Bulle. © Charles Ellena
Plaza Francia était accompagné par l’Orchestre des accordéonistes de la ville de Bulle. © Charles Ellena
Au micro de Plaza Francia, María Sol Muliterno a remplacé Catherine Ringer. © Charles Ellena
Au micro de Plaza Francia, María Sol Muliterno a remplacé Catherine Ringer. © Charles Ellena
Il faisait frisquet samedi soir, sur la Place du marché de Bulle... © Charles Ellena
Il faisait frisquet samedi soir, sur la Place du marché de Bulle... © Charles Ellena

Thierry Raboud

Publié le 03.09.2017

Temps de lecture estimé : 3 minutes

On a failli avoir froid.

Le ciel des Francomanias était chargé samedi soir, et l'on comptait sur la programmation pour nous revigorer.

Bon, il ne fallait pas trop attendre du dandysme soigneux du quatuor lémanique Adieu Gary Cooper. Leur pop équilibrée, aussi introspective que désenchantée, a parfois semblé bien en peine de réchauffer le pavé glacé de la Place du marché. Ils avaient les mains froides et le cœur chaud. Mais il nous fallait, pour ne pas geler, quelque chose de plus enflammé.

Dans la cour du Château, la troupe Avrac a heureusement dégivré l’atmosphère. Emmenée notamment par les Vincent Kucholl et Veillon, elle a improvisé une série de saynètes sur des thèmes choisis par le public (venu en nombre!). Où l’on a retrouvé les baroudeurs Klaxon & Müller et le traînant Serge Jacquet de la Riponne, où l’on a ri d’un salon de coiffure du coin, d’une rencontre de naturistes et de petits interludes musicaux bringuebalants. Entre trouvailles géniales et gros n'importe quoi, on se déglaçait quelque peu avant de rejoindre l’Hôtel de Ville.

Ici, deux prouesses. Avoir fait tenir sur une même scène les cinq musiciens de Plaza Francia et les trente musiciens de l’Orchestre des accordéonistes de Bulle. Puis avoir fait oublier que l'été était déjà fini. Car il a soudainement fait très chaud dans cette salle bondée.

La musique, évidemment, y était pour beaucoup. Fidèles à la mixtion qui a fait leur succès international sous le nom Gotan Project, les musiciens Eduardo Makaroff et Christoph Müller, rejoints ici par un pianiste, un bandonéoniste et un contrebassiste, continuent de porter le tango d’hier vers des rivages contemporains. En somme, un Carlos Gardel de boîte de nuit, un Piazzolla de dancefloor. Un bal post-moderne où toutes les influences se marient en une danse joyeuse – s’ils jouent le très beau Oblivion du célèbre bandéoniste argentin, c’est dans une version alanguie mais propulsée par de puissantes basses; s’ils lancent ensuite un martèlement house des plus simplistes, c’est pour y ajouter d’infinies subtilités rythmiques et mélodiques, faisant mine de sombrer dans une facilité pop pour mieux s’en éloigner aussitôt.

Le tout agencé avec intelligence, dans un show alternant sans baisse de régime tubes de Gotan Project (Differente ou le vibrant Santa Maria donné en bis), morceaux tirés du New Tango Song Book de Plaza Francia et titres inédits.

Mais surtout, leur énergie fut communicative. Moins magnétique mais plus fervente que Catherine Ringer à qui elle succède au micro, María Sol Muliterno a déployé sa voix très nuancée (éthérée puis soudainement incandescente) en soliste impeccable, accompagnée avec entrain et finesse par cet orchestre original.

Car il faut bien le dire, les trente accordéonistes ont été parfaits pour souligner les sursauts rythmiques de ces compositions généreuses en syncopes et contretemps. On craignait que leur présence alourdisse quelque peu cette musique déjà passablement appuyée. Emmené par la direction précise de Lionel Chapuis, qui n’a pas manqué d’affermir parfois son geste pour remettre tout le monde sur le même pied, l’orchestre bullois a au contraire donné au spectacle de Plaza Francia un corps, une profondeur bienvenue. Une rencontre audacieuse, qui s’est avérée définitivement chaleureuse.

Et dire qu'on avait failli avoir froid.

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